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Bibliothèque Kandinsky

Ladies Almanack



Christelle Courrègelongue
02 novembre 2022

Parallèlement à son projet de recherche "Musée d’art moderne. Section Sexualité(s)", la Bibliothèque Kandinsky a acquis en 2022 un exemplaire de Ladies Almanack de Djuna Barnes, avec le soutien institutionnel du laboratoire Gilead Sciences.

Djuna Barnes (1892-1982) est une romancière, dramaturge et artiste américaine ayant parfois écrit sous les pseudonymes de Lydia Steptoe et Lady of Fashion. Elle s’installe à Paris en 1920, séduite par cette ville où règne une liberté de mœurs plus grande qu’aux Etats-Unis. Elle devient l’amie de James Joyce, qu’elle considère comme le plus grand des écrivains vivants. Grâce à ce dernier, elle retrouve un groupe bien établi d’expatriés américains et notamment Nathalie Clifford Barney, Gertrude Stein, Janet Flanner, Berenice Abbott ou Sylvia Beach. Elle intègre la mouvance d’avant-garde, s’adonnant à plusieurs types de productions littéraires : journalisme, théâtre, poésie et fiction (roman, nouvelles).ial de la Bibliothèque Kandinsky.

Djuna Barnes écrit et illustre Ladies Almanack en 1928 sous le pseudonyme de Lady of Fashion, « une élégante » ou encore « une femme du monde ». Ce roman à clef a pour titre complet : Almanach des dames : De leurs signes et de leurs marées ; De leurs lunes et de leurs humeurs ; Des multiples saisons de leur vie ; De leurs éclipses et équinoxes ; Ainsi que de l’inventaire complet de leurs diurnes et nocturnes affections. A cette époque, elle vit avec la sculptrice Thelma Wood (de 1927 à 1931). Elle rédige ce texte en quelques semaines comme « une blague », une distraction pendant la maladie de sa compagne. L’ouvrage est écrit avec audace. Il représente un témoignage, parfois parodique, de la société lesbienne florissante à Paris entre le début du siècle et la Seconde Guerre mondiale. Il constitue une célébration de la sexualité féminine et une critique des idéologies patriarcales, des sexologies homophobes et des conventions hétérosexuelles. Il décrit sous une forme déguisée les intrigues amoureuses des accointances lesbiennes de Djuna Barnes, centrées sur le salon de Natalie Clifford Barney de la rue Jacob à Paris. Cette peinture d’une partie de l’élite culturelle et artistique de l’avant-garde parisienne s’appuie sur 21 illustrations audacieuses et paillardes en gravure sur bois (zodiaques féminisés, caricatures sexuelles, éléments médiévaux, imagerie populaire…), ainsi que deux dessins, colorisés à la main sur chaque plat des couvertures. L’écriture repose sur une prose dense et allusive, un langage obscur et « semi-codé », alternant plaisanteries et ambiguïtés, avec en arrière-plan une parodie religieuse.

Djuna Barnes diffuse son texte avec discrétion, presque dans la clandestinité, d’abord à Paris puis à New York, grâce ses amies américaines. À sa sortie, le livre reste inconnu du grand public pendant une quarantaine d’années et la critique sera mitigée lors de sa réimpression en 1972. Mais à la fin des années 1970, Ladies Almanack suscite un regain d’intérêt, probablement dû à la critique féministe du modernisme et à l’essor de la critique gay et lesbienne aux Etats-Unis. Le sens de Ladies Almanack suscite un vif débat critique : le livre est-il une parodie légère ou bien une attaque amère, une célébration ou une condamnation de Natalie Clifford Barney et de sa communauté ?

Dans sa postface à l’édition française, Michèle Causse écrit : « L’Almanach des dames est un livre à part dans l’œuvre de Djuna Barnes qui, en se réappropriant les codes et les formes de la littérature grivoise des siècles antérieurs, sature le texte d’allusions et d’équivoques sexuels et dresse une topographie entièrement nouvelle du corps féminin, du point de vue de l’œil lesbien ».

L’héroïne lesbienne de Ladies Almanack, nommée « Dame Evangeline Musset », partie en croisade, « sauve » les femmes en détresse de l’hétérosexualité malheureuse et dispense la sagesse. Elle apparaît dans sa jeunesse comme « pionnière et menace » avant d’atteindre « une cinquantaine pleine d’esprit et savante ». Le lesbianisme devient à la fois un thème explicite et une source d’inspiration.

Pour l’impression de Ladies Almanack, Djuna Barnes se rapproche d’abord de l’éditeur Edward Titus, installé à Paris, qui dirige depuis 1924 une librairie à Montparnasse, At the Sign of the Black Manikin, et fonde Black Manikin Press. Il imprime notamment en 1926 les Poèmes en prose de Baudelaire ou encore la première édition de Lady Chatterley’s Lover de D.H. Lawrence en 1929. Finalement, par un désistement d’Edward Titus ou faute d’un budget suffisant que Djuna Barnes ne peut honorer, le livre est imprimé à Dijon, à titre privé, à l’imprimerie Darantière, qui avait imprimé Ulysses de James Joyce.

Ladies Almanack a inspiré un film en 2017 de la scénariste américaine Daviel Shy. Il rend hommage aux œuvres féministes des auteures lesbiennes, en relatant les amitiés, flirts, jalousies et déboires d’artistes femmes dans les années 1920 à Paris.

L’exemplaire acquis par la Bibliothèque Kandinsky, avec le soutien institutionnel de Gilead Sciences est un exemplaire de passe, ayant probablement appartenu à l’imprimeur Maurice Darantière. Ladies Almanack est une œuvre tirée à 1 000 exemplaires sur Alfa, avec illustrations en noir et blanc, 40 exemplaires sur Rives avec impression en couleurs des illustrations et enfin 10 exemplaires sur vergé, avec illustrations colorisées à la main, rendant ainsi chaque exemplaire unique. Notre exemplaire de passe s’ajoute au 10 coloriés à la main, avec les pages de couverture et quatrième de couverture en parchemin, chacune illustrée et colorisée, ce qui en fait un exemplaire rarissime. Il vient d’intégrer le fonds patrimon

Djuna Barnes, Ladies Almanack, Bibliothèque Kandinsky, Mnam-Cci, Centre Pompidou