[MISE EN LIGNE] L’instrument de recherche du fonds des frères Martel
Béatrice Sarno
Sculpteurs et ensembliers, Jan et Joël Martel sont impliqués dans de nombreux projets d’architecture et sont en relation constante avec des artistes, ingénieurs ou artisans engagés dans la modernité. Leur propension à concevoir leur activité comme partie d’un plus grand ensemble les place au cœur des projets collaboratifs artistiques de l’entre-deux-guerres. L'instrument de recherche du fonds des frères Martel est désormais consultable en ligne pour l'ensemble du fonds.
Histoire du fonds
Les frères Jan et Joël Martel sont nés le 5 mars 1896 à Nantes et décédés respectivement le 16 mars et le 25 septembre 1966. Tous deux sculpteurs, ils partagent le même atelier et signent souvent leurs compositions par le seul nom de Martel.
En 2005 lors de la préparation de l’exposition consacrée à Robert Mallet-Stevens au Centre Pompidou, le conservateur Olivier Cinqualbre prend attache avec les propriétaires des habitations de la rue Mallet-Stevens à Paris. C’est à cette occasion que Madame Videlier-Martel propose de faire don de croquis et carnets de dessins ayant appartenu aux frères Martel. Ces œuvres entrent aussitôt en collection, et la documentation qui les accompagne est reversée à la Bibliothèque Kandinsky. Ce fonds d'archives compte deux boîtes de photographies et deux boîtes de notes et correspondance, accompagnées de 87 dessins et plans. Arrivée à la bibliothèque en 2005, la partie photographique du fonds a été traitée en 2016. Les archives écrites du fonds ont pour leur part été reversées dans un second temps en 2024. Leur traitement vient d'être finalisé.
1924 : L’Art Urbain, précurseur de l’Union des artistes modernes (UAM)
Quelques années avant la naissance de l’Union des artistes modernes, les frères Martel participent à la conception collective d’une boutique à présenter au Salon d’automne en 1924. Les lettres sont échangées via un groupement d’artistes baptisé « L’Art Urbain » créé à l’initiative de Marcel Temporal. Ces lettres sur papier à en-tête sont parfois signées par Gabriel Guévrékian ou Robert Mallet-Stevens. L’en-tête précise « L’Art Urbain : encourager le goût des réalisations esthétiques, pratiques et logiques dans l'art de concevoir, de tracer et de décorer les villes, villages, rues, routes, places et jardins » .
Les frères Martel étaient alors proches de Jean Burkhalter. Le fonds rassemble leur correspondance suivie (1920-1924) et témoigne d’une large implication dans la vie artistique de leur temps, citant notamment Robert Mallet-Stevens, bien sûr, mais aussi Le Corbusier, Auguste Perret, Pierre Chareau, Marcel L’Herbier et d’autres noms que nous retrouverons pour la plupart au cœur de l’UAM en 1929.
1925 : l’Exposition des arts décoratifs
Lors de l'Exposition des arts décoratifs de 1925, les arbres cubistes en ciment armé des frères Martel réalisés en collaboration avec Robert Mallet-Stevens défraient la chronique. La « Récompense hors concours » qui leur est alors décernée mentionne toutes les contributions des frères Martel à cette exposition.
Pour chacune d'entre elles, la Bibliothèque Kandinsky conserve des dessins préparatoires: bas-reliefs du pavillon de la Manufacture nationale de Sèvres, porte de la Concorde, fumoir de l’Ambassade française, croquis d’abeilles pour la boutique de Pierre Iman, ou fontaine du commissariat général.
1926 : Robert Mallet-Stevens conçoit avec les frères Martel leur maison-atelier
L'année suivante, Robert Mallet-Stevens conçoit pour les deux frères un hôtel particulier dans le 16ème arrondissement parisien, dans la rue qui prendra en 1927 le nom de l’architecte. Le fonds contient les plans de cette habitation et rassemble notamment les dessins de nombreuses recherches d’aménagement (fontaine, carrelage, portes, miroirs, porte-canne, etc.) menées par les frères avec des ingénieurs et ensembliers de renom, notamment les frères Thonet, Charlotte Perriand et Jean Prouvé pour les éléments de ferronnerie. Dans leur salon aux murs jaunes conçu avec Francis Jourdain, les meubles sont suspendus sur des rails - étonnants meubles « à coulisses » qui seront présentés au Salon d’automne de 1928.
La maison-atelier des frères Martel est classée au titre des monuments historiques depuis décembre 1990.
Dès 1933 : L'implication des frères Martel dans la rue Mallet-Stevens
La participation des frères Martel à la rue Mallet Stevens ne se limite pas à leur atelier-habitation : en 1933, ils imaginent un jardin pour l’impasse. Le plan paysager et la correspondance avec les établissements horticoles témoignent d’un suivi qui s'est poursuivi pendant plusieurs années.
Après le décès de Mallet-Stevens en 1945, Jan et Joël Martel recueillent chez eux les archives du syndicat des propriétaires de la rue Mallet-Stevens. Outre les contrats, plans et revues de presse (de 1927 à 1933), la Bibliothèque Kandinsky dispose ainsi de nombreux rapports et tenues de comptes de 1926 à 1965, date de décès des frères Martel.
Dans ces dossiers figurent également les projets d’habitations pour le terrain restant à bâtir : l’un daté de 1935 est signé par Mallet-Stevens mais n’a pas été réalisé (les plans originaux sont en collection du Musée) ; l’autre daté de 1950 est signé Rémi Le Caisne. Approuvé par tous les propriétaires, il sera finalement construit.
Une effervescence créative et collaborative
Au-delà du témoignage des complicités entre artistes et artisans autour de l’architecte de la rue Mallet-Stevens, le fonds des frères Martel rend compte d’une effervescence créative basée sur la collaboration des différents acteurs de l’art et de la culture sur la scène parisienne de l’entre-deux guerres. Des sculptures comme parties intégrantes des projets de bâtiments, des étoffes imaginées en fonction de la forme du meuble qu’elles vont habiller, des éclairages plâtrés à-même les murs. A l’instar de l’architecte Mallet-Stevens qui signe le décor des films de Marcel L’Herbier (L’Inhumaine en 1924, Le Vertige en 1927), les créateurs ne conçoivent pas leur discipline sans l’intégrer à un plus grand horizon. On trouve dans la correspondance l’adhésion des frères Martel à l’association des Amis de la Cinémathèque dès sa création en 1933. L’en-tête des courriers se compose d’une photographie signée Laure Albin-Guillot. Autre clin d’œil à la présence désormais constante de l’UAM lorsqu’il s’agit de promouvoir ou de célébrer la modernité.
Illustration en vignette: Photographie de Paul O'Doyé parue dans The Sketch, 3 septembre 1930 accompagnée de la légende « SUN-BATHING - ON A PARIS BALCONY : MME JEAN MARTEL » . Article extrait de la revue de presse sur l'Hôtel des frères Martel. Centre Pompidou, MNAM-CCI, Bibliothèque Kandinsky / Fonds Frères Martel, MART 165