[LECTURES OBLIGATOIRES] « America Latina no oficial » : le fonds Paulo Paranagua
Killian Rauline
Killian Rauline (agrégé d’histoire et doctorant à l’École normale supérieure) mène des recherches sur les circulations d’artistes et critiques brésiliens en Europe entre les années soixante et quatre-vingt, alors que le pays connaît une dictature militaire particulièrement longue. Dans le cadre de sa vacation pour le projet « America Latina no oficial. Réseaux artistiques latino-américains en France et circulations artistiques au 20e siècle », un projet soutenu par les Amis du Centre Pompidou, Killian Rauline propose un focus sur la personnalité de Paulo Paranagua, et son fonds d'archives, conservé à la Bibliothèque Kandinsky.
Vue de l'Exposição Surrealista, XIII Exposição Internacional do Surrealismo, São Paulo, mai 1967 (commissaires : Vincent Bounoure, Leila Ferraz,
Sergio Lima, Paulo Paranagua), [1967], épreuve gélatino-argentique, 18 × 20 cm – Bibliothèque Kandinsky, fonds Paulo Paranagua, PAR 4
Les multiples vies de Paulo Paranagua commencent à Rio de Janeiro, en 1948. Fils d’un père diplomate, il passe une partie de son enfance à l’étranger, au gré des nominations de ce dernier. Adolescent cinéphile, il est bientôt un habitué de la Cinémathèque du Musée d’art moderne de Rio, pour laquelle il élabore un cycle de films liés au surréalisme et écrit ses premiers textes en 1966. C’est un moment charnière : il présente la même année dans un petit festival carioca, Nadja, un court-métrage librement inspiré du roman d’André Breton, puis fait la connaissance de Sergio Lima et Leila Ferraz, jeunes surréalistes de São Paulo, avant de partir vers l’Europe poursuivre ses études.
D’abord installé en Belgique, il voyage régulièrement à Paris pour assister aux réunions des surréalistes qui se tenaient au café La promenade de Vénus. C’est donc assez naturellement qu’il devient un intermédiaire entre les groupes surréalistes parisien et pauliste, ainsi qu’un acteur essentiel de l’organisation de la Première exposition surréaliste de São Paulo. Ouverte en août 1967, celle-ci se présente aussi comme la XIIIe Exposition internationale du Surréalisme.
Étudiant à Nanterre à partir de la rentrée 1967, il participe aux événements de mai 68 et assiste l’année suivante à la dissolution du surréalisme par le groupe parisien. Il a entretemps rejoint des groupes trotskystes et anime la cellule de la Ligue communiste à l’usine Renault de Billancourt. Après un bref passage par le Brésil au début des années 1970, il s’installe en Argentine avec sa compagne María Regina Pilla, où il prend la direction de la Fraction rouge, scission du Partido Revolucionario de los Trabajadores (PRT-ERP). Le couple est arrêté en 1975, quelques mois avant le coup d’état militaire qui renverse le gouvernement péroniste.
La dictature au Brésil et la collaboration qui se met en place entre les régimes anti-communistes du Cône Sud rend improbable tout secours de la part de l’État brésilien. Victimes de torture, le couple n’est libéré qu’en 1977, notamment grâce à des mobilisations en France, où ils obtiennent l’asile politique. À Paris, Paulo Paranagua écrit dans la rubrique culturelle de Rouge, le quotidien trotskiste, avant de s’installer quelques années à Barcelone où il poursuit des études en cinéma auprès de Roman Gubern. De retour à Paris en 1982, il est reconnu comme un spécialiste du cinéma latino-américain, publiant des textes en français, espagnol et portugais.
À tout cela, est venue s’ajouter une production journalistique pour le journal Le Monde, sur les questions politiques en Amérique latine.
Vue de l'Exposição Surrealista, XIII Exposição Internacional do Surrealismo, São Paulo, mai 1967 (commissaires : Vincent Bounoure, Leila Ferraz,
Sergio Lima, Paulo Paranagua), [1967], épreuve gélatino-argentique, 12 × 12 cm – Bibliothèque Kandinsky, fonds Paulo Paranagua, PAR 4
De gauche à droite : Pontus Hultén, Sergio Lima, Leila Ferraz, Aldo Pellegrini et Raul Fiker
Les sept boites constituant le fonds documentent en priorité l’exposition surréaliste de São Paulo. De nombreuses photographies envoyées par Sergio Lima et Leila Ferraz permettent d’en décrire l’accrochage et d’apercevoir quelques personnalités présentes lors du vernissage, tandis qu’une correspondance abondante laisse percer tous les espoirs que chacun plaçait dans l’exposition. De nombreuses coupures de presse sur l’exposition permettent enfin d’en mesurer les échos au Brésil.
Une autre part de la correspondance conservée concerne moins directement l’exposition et témoigne de la variété et la qualité des interlocuteurs de Paulo Paranagua. On trouve par exemple des lettres de Vincent Bounoure, Alain Resnais, Octavio Paz, Aldo Pellegrini ou Mario Cesariny, ainsi que des évocations de rencontres avec Ted Joans à Paris.
Un dernier ensemble de documents plus disparates concerne pêle-mêle : la campagne pour sa libération entre 1975 et 1977, quelques documents provenant de groupes surréalistes ayant refusé la dissolution de 1969 et une petite collection de literatura de cordel publiée au Brésil entre les années 1960 et les années 2000.
Enfin, ce fonds s’accompagne d’une importante collection de livres concernant le cinéma latino-américain, l’histoire du surréalisme en Amérique latine ou le surréalisme de langue portugaise.
Sergio Lima (dir.), A Phala: Revista do Movimento Surrealista, n° 1, août 1967, p. 154-155 – Bibliothèque Kandinsky, RP 443