[PROJET DE RECHERCHE] Catalogue raisonné des expositions du Centre Pompidou
Yasmine Aïfi
Catalogue raisonné (n.m.) : ouvrage qui recense avec méthode l’intégralité des œuvres connues d’un artiste. Ici, l’expression s’applique non pas aux créations d’une personne mais d’une institution protéiforme, le Centre Pompidou.
Genèse du projet
Au Centre Pompidou, l’idée d’un catalogue raisonné des expositions germe au début des années 2010. Issu du programme « Recherche et Mondialisation », un cercle de réflexion est créé afin d’« interroger le format et la nature des expositions, la pratique de commissariat et la place de l’histoire des expositions dans l’histoire de l’art » [1]. En mettant ainsi l’accent sur l’étude de ces rendez-vous qui font l’histoire du musée depuis son ouverture sur le plateau Beaubourg en 1977, il permet à l’institution de s’inscrire dans la tendance globale qui touche la discipline depuis les années 1990.
Ce collectif est composite, accueillant une vingtaine de personnalités aux professions et orientations culturelles diverses. Documentalistes et archivistes, chercheurs, universitaires, galeristes et critiques d’art, ses membres ne sont pas tous partie prenante de l’organigramme du Centre Pompidou, lui-même foisonnant et multiple. Des conservateurs du Mnam-Cci sont associés. Parmi eux : Catherine Grenier, alors directrice adjointe du musée, Jean-Pierre Criqui, rédacteur en chef de la revue des Cahiers du Mnam, mais aussi Laurent Le Bon. Directeur du Centre Pompidou-Metz de 2008 à 2014, il devient président du Centre national d’art et de culture-Georges Pompidou à compter de 2021.
En parallèle, Bernadette Dufrêne et Jérôme Glicenstein, professeurs à l’université Paris 8, ainsi que Didier Schulmann, alors conservateur et chef de service de la Bibliothèque Kandinsky, portent le projet de recherche « Histoire des expositions au XXe siècle » au sein du Labex Arts H2H. Quant au Labex CAP, il finance une recherche postdoctorale qui intègre pleinement cette dynamique, projetant le Centre Pompidou au cœur de partenariats académiques essentiels à son analyse. L’école du Louvre est un autre de ses établissements partenaires de choix, au travers de groupes de recherches dont les axes d’étude résonnent avec le catalogue. Citons le plus récent, consacré à l’histoire du Centre Pompidou, il est dirigé par Nicolas Liucci-Goutnikov, conservateur et chef de service de la Bibliothèque Kandinsky.
Le groupe de réflexion initial se réunit dès 2010 avec pour première mission d’évaluer la quantité d’informations disponibles. Ils élaborent une méthodologie visant à structurer la recherche à venir, en la connectant à un protocole d’archivage renouvelé. Une fiche-modèle, faisant état de toutes les données potentielles à compiler sur une exposition, est établie. Elle comprend quarante et une sections que devront tenter d’abonder les treize jeunes chercheurs qui constituent le premier groupe de travail sur l’histoire des expositions au Centre Pompidou [2].
Composé d’une grande diversité de profils de chercheurs, allant du débutant au confirmé, il contribue à la faire évoluer en adéquation avec les différentes bases de données utilisées au Mnam-Cci grâce à un dialogue soutenu avec l’équipe de la Bibliothèque Kandinsky. Dès lors, plusieurs promotions de boursiers et de stagiaires se succèdent entre 2011 et 2015. Ils sont plus de cinquante à avoir participé à la collecte des renseignements nécessaires à la création des plus de mille quatre cents fiches d’expositions alors cataloguées [3]. De la simple « carte d’identité » ou fiche signalétique à la recension complète, faisant mention de l’équipe, des partenaires, des lieux d’itinérances, du budget, des œuvres et documents présentés au public, proposant un descriptif accompagné de vues d’exposition et présentant les dispositifs de médiation organisés ainsi que la production éditoriale associée. Un ensemble déjà immense et dont le nombre doit être constamment réévalué et actualisé en raison de l'effervescence permanente qui caractérise le paquebot Beaubourg.

Vue de l'exposition « Archéologie de la ville », forum du Centre Pompidou (1 février - 8 mars 1977). Photographe : Jean-Louis Bloch L'Aine
Centre Pompidou/MNAM-CCI/Bibliothèque Kandinsky, CCI 29.644-838
Photo : © Centre Pompidou/MNAM-CCI/Bibliothèque Kandinsky/Dist. GrandPalaisRmn
La mise en ligne
Dès les premiers instants, c’est l’outil numérique qui est envisagé pour répondre à l’éclectisme des demandes formulées. La forme du Wiki est privilégiée au travers d’un partenariat avec le logiciel Media Wiki qui apparaît comme le plus indiqué pour gérer avec fluidité une telle quantité d’information continue selon un registre participatif. Si dans un premier temps, sa consultation semble assez limitée, les discussions quant à une mise en ligne publique du catalogue sont teintées de la politique d’insertion numérique que déploie le Centre Pompidou à l’orée de la décennie. Les premières numérisations des fonds et collections sont réalisées en 2010 et le 4 octobre 2012 voit l’inauguration du « Centre Pompidou virtuel », sous l’impulsion d’Alain Seban, président de l’institution jusqu’en 2015. Dans cette lignée, le blog « Histoire des expositions » créé par le groupe de chercheurs est le premier point de contact et de communication digital sur leur travail. Il informe sur la tonalité du projet et ses objectifs, mettant en lumière certains de ses axes de recherches. Les articles qui y sont publiés témoignent de la volonté du Centre de renforcer ses liens avec la recherche, nourrissant une autoréflexivité qui l’ancre dans l’actualité transnationale de l’histoire de l’art, de l'histoire des expositions et de la muséologie.
Le quarantième anniversaire du Centre Pompidou, en 2017, présente finalement l’occasion parfaite à la mise en ligne de la plateforme, minutieusement construite par un collectif grandissant. Alors que deux ans plus tôt, les conditions d’accessibilité de l’interface restaient à définir, en 2015, Stéphanie Rivoire, cheffe du projet catalogue raisonné à la Bibliothèque Kandinsky, met l’accent sur le caractère collaboratif qui a permis sa mise en œuvre et promeut une ouverture élargie « vers le public des amateurs » [4]. En septembre 2016, à quelques mois des célébrations anniversaires, Sonia Descamps, archiviste en charge de l’administration des bases de données et de la normalisation à la Bibliothèque Kandinsky, annonce la diffusion effective d'un catalogue raisonné en ligne des expositions du Centre Pompidou « complété de manière systématique » [5].
Sur la page d’accueil, il est possible de se livrer à une recherche large, à partir des catégories proposées (année, commissaire, cycle ou espace d’expositions) ou plus ciblée, en utilisant directement la barre de recherche. La plateforme arbore un charme légèrement vintage, en écho aux trames graphiques propres à l'outil, dont témoignent encore le globe mobile formé des noms des commissaires ou la frise chronologique à manipuler avec précaution. Un format qu’il a été choisi de conserver dans la nouvelle version augmentée du catalogue à laquelle travaillent les pôles recherche et programmation scientifique et ingénierie documentaire de la Bibliothèque Kandinsky, cordonnés par Mica Gherghescu et Pauline Charbonnier.

Catalogue raisonné des expositions du Centre Pompidou : fiche signalétique et liste de commissaires d'expositions
Affiche : Integral Ruedi Baur et Associés, œuvre : Felix Gonzalez-Torres, Untitled (Perfect Lovers), 1987-1990
Relancer la machine
Au début de l’été 2025, la perspective du cinquantenaire de l’institution relance la machine « catalogue raisonné », en sommeil depuis 2017. La grande mutation qu’elle entame à l’automne avec la fermeture du bâtiment historique encourage à un regard rétrospectif qui offre l’opportunité rare de borner une chronologie aux potentialités infinies à l’exposition « Wolfgang Tillmans. Rien ne nous y préparait - Tout nous y préparait », la dernière qui s’y tienne avant les travaux.
Les sources
Dès lors, il fallait revenir sur l’historique de la création de cet outil, sur les motivations et les méthodologies qui ont présidé à sa mise en place, mais aussi effectuer une évaluation des sources disponibles sur le vif pour des expositions n’ayant jamais plus de neuf ans. Un délai relativement restreint si l’on en croit l’archiviste du Centre Pompidou, Jean- Philippe Bonilli, qui rappelle qu’il faut en moyenne dix ans pour qu’un dossier de préparation d’exposition parvienne à trouver son chemin dans les méandres qui serpentent sous la Piazza pour être versé aux archives institutionnelles.
Si quelques bilans d’exposition émis par la Direction des publics ainsi que les plans de certains parcours expographiques ont pu être récupérés, la majorité des sources identifiées sont secondaires : catalogues d’exposition, communiqués et dossiers de presse, bilans d’activité annuels du Centre Pompidou, son site Internet et les rares microsites dédiés aux expositions. Les vidéos produites par le Centre, mettant en scène les présentations des itinéraires de visite par les commissaires, mais aussi leurs interventions sur les ondes de la radio publique, ont elles aussi été mobilisées.
Quant à la source photographique, déjà largement explorée lors des campagnes précédentes [6], elle prend une place encore renouvelée par le rythme accéléré des numérisations et la cadence accrue de leur mise en ligne ces dernières années. Ces vues d’expositions sont rassemblées sur le portail de la Bibliothèque Kandinsky qui conserve une partie d’entre elles. La seconde étant versée aux archives du Centre Pompidou. Pêle-mêle, il s’agit de vues muséographiques mais aussi, plus épisodiquement, de photographies des montages, vernissages, événements et visites du personnel.

Exposition « Les Immatériaux », Centre Pompidou, Grande Galerie (28 mars 1985 - 15 juillet 1985). Public assistant à la conférence de presse
Centre Pompidou/MNAM-CCI/Bibliothèque Kandinsky, CCI 147
Photo : © Centre Pompidou/MNAM-CCI/Bibliothèque Kandinsky/Dist. GrandPalaisRmn
Un outil pour la recherche
Pour chacune des deux cent trente-cinq expositions récemment ajoutées au catalogue raisonné en ligne, il convenait alors d’aboutir à un collage de sources singulier. Les infobox de ces nouvelles fiches Wiki ont fait l’objet d’un import groupé qui permet dorénavant de connaître leur(s) titre et sous-titre(s), dates d’ouverture et de fermeture, typologie(s), espace(s) d’exposition, commissaire(s) et service(s) initiateur(s). Une sélection de ces expositions ayant fait l’objet de recherches plus approfondies verra sa fiche augmentée d’une description générale ainsi que de détails supplémentaires. Si le format Wiki appelle à une approche synthétique, ces pages tenteront de transmettre avec plus d’ampleur les idées directrices qui ont conduit à la fabrication intellectuelle et matérielle de ces expositions, les replaçant dans un contexte plus historique, voire généalogique.
Ces notices sont le résultat de recherches menées au sein de l’institution, nourries de sources toutes produites par cette dernière. En s’en faisant la voix, elles appellent aussi, sinon à un discours contradictoire, au moins à un regard critique attentif qui, en les éprouvant, ne pourrait que rendre plus intéressante l’histoire des expositions du Centre Pompidou. Comme il ne peut s’accommoder d’accumuler les œuvres, le Musée national d’art moderne ne peut se contenter de multiplier les expositions sans en assurer une valorisation qui passe notamment par une recontextualisation et leur confrontation à des points de vues parfois divergents. Pour qu’il soit efficace, peut-être lui faut-il encore s’émanciper des commémorations qui immanquablement le ravivent, pour devenir un réflexe. À bien y regarder, avec la mise en ligne de cet instrument, l’institution se dévoile un peu plus, dans les évolutions de ses orientations, ses hiérarchies et ses stratégies, les succès et les revers qui ponctuent son existence. Elle invite le visiteur curieux comme le chercheur aguerri, qu’il soit commissaire, universitaire ou indépendant, à entrer dans le tourbillon qu’elle engendre.
Un mouvement perpétuel qui participe à expliquer les inéluctables lacunes d’un tel outil. Sans oublier l’essence même de l’exposition qui en fait une manifestation de l’éphémère. Ainsi, s’il est souhaitable qu’il se rapproche toujours plus de l’exhaustivité, le catalogue raisonné se caractérise aussi par les manques qui traversent les plus de mille six cents pages qu’il compte désormais. Autant d’interstices de la connaissance à continuer de sonder. L’artiste Sophie Calle parle de son « catalogue raisonné de l’inachèvement », la critique d’art Rosalind Krauss d’un « inventaire perpétuel » : on ne peut que souhaiter que ce catalogue raisonné des expositions demeure un work in progress aussi vivant que l’institution dont il reflète les élans.

Exposition « Elles font l'abstraction », Centre Pompidou, niveau 6, Galerie 1 (19 mai - 23 août 2021). Œuvres : Parvine Curie, Mère-Matmata, (1975-1977), Alicia Penalba, Hommage à César Vallejo (1955/1959-1960), Claire Falkenstein, Sun Sky (1956) et Sans titre (1957-1960)
Centre Pompidou/MNAM-CCI/Bibliothèque Kandinsky, MUS 202111
Photo : © Centre Pompidou/MNAM-CCI/Bibliothèque Kandinsky/Dist. GrandPalaisRmn
Notes
[1] Stéphanie Rivoire, « Les archives photographiques d’expositions 1/9 : approches méthodologiques pour un catalogue raisonné des expositions du Centre Pompidou » sur Histoire des expositions. Carnet de recherche du catalogue raisonné des expositions du Centre Pompidou [en ligne]. URL : Les archives photographiques d’expositions 1/9 : Approches méthodologiques pour un catalogue raisonné des expositions du Centre Pompidou | Histoire des expositions (consulté le 25 novembre 2025).
[2] Pour plus d’informations sur les origines du projet, lire :
- Remi Parcollet, Léa-Catherine Szacka, « Écrire l’histoire des expositions : réflexions sur la constitution d’un catalogue raisonné d’expositions » In: Culture & Musées, n. 22, 2013. pp. 137-162. URL: Écrire l’histoire des expositions : réflexions sur la constitution d’un catalogue raisonné d’expositions - Persée (consulté le 1er décembre 2025)
- Reesa Greenberg, « Remembering exhibitions online microsites and catalogues raisonnés », The Exhibitions: Histories, Practices and Policies, In: Revista de História da Arte, n. 14, 2019, pp. 35-47. URL: rha_14.pdf (consulté le 1er décembre 2025).
[3] Leurs noms sont mentionnés sur cette page du blog Hypothèses dédiée au catalogue raisonné : Le catalogue raisonné des expositions | Histoire des expositions (consulté le 1er décembre 2025).
[4] Stéphanie Rivoire, op. cit.
[5] Sonia Descamps, « 40 ans d’expositions au Centre Pompidou à découvrir en ligne » sur Histoire des expositions. Carnet de recherche du catalogue raisonné des expositions du Centre Pompidou [en ligne]. URL : 40 ans d’expositions au Centre Pompidou à découvrir en ligne | Histoire des expositions (consulté le 25 novembre 2025).
[6] Remi Parcollet, « Les archives photographiques de vues d’expositions (0/10) : Introduction » sur Histoire des expositions. Carnet de recherche du catalogue raisonné des expositions du Centre Pompidou [en ligne]. URL : Les archives photographiques d’expositions 0/9 : Introduction | Histoire des expositions (consulté le 25 novembre 2025)
