[NOUVELLES ACQUISITIONS] Focus : « Histoires d’un vacher » de Gaston Chaissac (1952)
Christelle Courrègelongue et Diane Toubert
La Bibliothèque Kandinsky a récemment acquis – grâce au mécénat de Florence et Daniel Guerlain – un exemplaire des exceptionnelles Histoires d’un vacher : dédiées à Saint François d’Assise, ami des bêtes et des humbles et haute personnalité du monde céleste, composé par le peintre et poète Gaston Chaissac (1910-1964).
Gaston Chaissac, Histoires d’un vacher : dédiées à Saint François d’Assise, ami des bêtes et des humbles et haute personnalité
du monde céleste, [s.l.], Le Courrier de la poésie, 1952, Bibliothèque Kandinsky, RLPF 13911 ; illustration : Luc Duvot
Véritable hymne à la nature et à la poésie du quotidien, la publication séduit par son apparente simplicité. Chaque page présente une fable dont, tour à tour, animaux, végétaux et individus sont les héros. De fréquents procédés de personnification apportent des nuances tragiques à la trame légère et humoristique des récits, dont la tonalité, aussi changeante qu’imprévisible, semble varier au gré des saisons décrites : « À l’orée du bois s’élève un monument funéraire qui porte cette inscription : “Ici repose une laborieuse fourmi décédée lors du dernier tremblement de terre. Elle n’a laissé que des regrets. Pour elle priez. Et prions pour la solidification de la terre afin que d’affreuses choses semblables cessent d’exister” » (« À une fourmi morte »), ou encore « Alignés en bordure du fossé, quatre saules pleuraient ensemble » (« Les saules »). Certains contes n’hésitent pas à mettre en scène la noirceur de l’âme humaine : « Parmi ces petits enfants que louaient le patron-ramoneur, certains n’avaient que six ou sept ans, les pauvres petits, la première fois qu’on les faisait monter dans une cheminée, quand ils recevaient le baptême de la sueur et de la suie, ils avaient peur de ce trou noir comme s’il avait été l’enfer et ils reculaient avec épouvante, mais leur patron était là et il fallait bien qu’ils s’empressent de grimper » (« Le hérisson libérateur »).
Gaston Chaissac, Histoires d’un vacher : dédiées à Saint François d’Assise, ami des bêtes et des humbles et haute personnalité
du monde céleste, [s.l.], Le Courrier de la poésie, 1952, Bibliothèque Kandinsky, RLPF 13911 ; illustration : Luc Duvot
Histoires d’un vacher paraît aux éditions du Courrier de la poésie, fondées en 1951 par Jean Vodaine (1921-2006), poète et éditeur autodidacte. Cette publication artisanale, dont le tirage n’est pas justifié mais compte probablement moins d’une cinquantaine d’exemplaires, date de 1952. Elle a été imprimée par la presse à bras de Jean Vodaine et financée à la demande de Gaston Chaissac par Jean Dubuffet. La couverture de Canson noir est illustrée d’une linogravure originale en jaune signée par Gaston Chaissac. L’illustrateur Luc Duvot est quant à lui l’auteur de trois linogravures hors texte en noir ainsi que de la lettrine en couleurs réhaussée à la gouache qui précède chaque récit. Dans la préface qu’il signe, l’artiste-collectionneur, fondateur de la Compagnie de l’Art Brut écrit : « Qu’est-ce qu’il [Gaston Chaissac] va nous servir ? rien que du plus trivial, des objets et faits empruntés à la vie quotidienne la plus nulle, le parler le plus commun – plats propos, radotages : c’est cela son matériel, à Chaissac, à partir de quoi il va faire résonner des échos si bizarres, faire s’élever un vent inconnu, un vent qui n’est qu’à lui, passablement sifflant et glacé, il faut le dire, mais magique, oh oui ! »
Si Jean Dubuffet regarde attentivement l’œuvre de Gaston Chaissac, ce dernier explore à travers Histoires d’un vacher un topos de prédilection de Dubuffet, largement exploré dans sa propre œuvre sur toile et sur papier, la campagne. L’ouvrage paraît dans un moment charnière de l’histoire de l’Art Brut, durant lequel Dubuffet, après avoir formé avec André Breton le projet d’un almanach et tenté d’insuffler une dynamique collective dans les recherches relatives à l’Art Brut pour « faire mouvement », se brouille avec Breton, dissout la Compagnie de l’Art Brut et envoie ses collections aux États-Unis pendant onze ans, entre 1951 et 1962.