
[SEMINAIRE] L'art brut décliné au féminin #2 : Ecritures, du genre
SéminaireInitiée en 2023 avec le soutien des Amis du Centre Pompidou, la deuxième séance du séminaire "L'art brut décliné au féminin" revient sur le rapport complexe entre écriture et assignation du genre. Une programmation construite avec Baptiste Brun, maître de conférences, Université Rennes 2 et membre du comité du pilotage du programme de recherche dédié.
Le séminaire
Retrouvez la première séance du séminaire sur les histoires de médiumnité : ici
Ce séminaire de recherche reçoit le soutien des Amis du Centre Pompidou.
La séance
Souvent apparentés à l’art brut, des écrits produits dans le contexte asilaire au XIXe et XXe siècles ont éveillé l’intérêt de psychiatres, d’écrivains, d’artistes et de critiques (Cape 2011, Capt 2013).
Diverses modalités de réception émaillent l’histoire de leur découverte, de leur diffusion, de leur interprétation et de leur médiation, sans bien souvent que l’auteur.e n’ait son mot à dire. Historiquement, c’est l’appréhension psychopathologique qui prédomine, cantonnant ces textes à une écriture du délire où l’on verrait se manifester le symptôme de la maladie. Les catégories nosologiques de la fin du XIXe siècle attestent ce surgissement du document asilaire manuscrit. La fièvre taxonomique et lexicale qui s’empare alors des aliénistes et psychiatres contribue alors à l’émergence de catégories où la logorrhée ou la glossolalie sont appliquées à la lettre : graphorrhée, graphomanie, typomanie, etc.
Mais les féconds partages d’expérience entre les mondes de la psychiatrie et de l’art, en particulier dans le champ des avant-gardes dès les premières décennies du siècle passé, ont conduit à une évaluation littéraire et esthétique de ces artefacts, non sans paradoxes. La célébration de la liberté supposée de la condition aliénée n’est pas le moindre. En quête de nouvelles voies de création, les surréalistes ou des personnalités tels Marcel Réja ou plus tard Jean Dubuffet ou Michel Thévoz, ont en effet chanté au long des décennies les louanges d’une création jugée déconditionnée, valorisant manuscrits, dessins, peintures, sculptures, assemblages, broderies et autres objets façonnés et parfois performés dans le clos de l’asile (Thévoz 2021). Ils les cherchèrent, les collectionnèrent, les lurent, les pastichèrent parfois, les exposèrent et les publièrent.
Ce procès d’artification a sa part d’ambivalence. La révélation de ces pratiques marquées au sceau de la littérature et de l’art engageait heureusement à une reconnaissance du statut de sujet de leur producteur, femme ou homme exclu de la cité qui, par les voies de l’art, la réintégrait, au moins symboliquement. Mais dans un même geste, ce dévoilement courait le risque d’une mythification, l’esthétisation impliquant la dépolitisation de ces petites histoires de création (Brun 2022). L’historicité même de leur surgissement – un contexte de l’enfermement, de la maladie, de la souffrance – a souvent été gommée par leurs hérauts même. L’euphémisation voire la mise sous silence de la condition asilaire en est un trait marquant. Et par-delà, ce sont des dynamiques structurelles de domination qui ont été négligées, voire invibilisées, notamment celles relevant du genre, objet d’attention de ce séminaire.
Envisager les écritures produites en milieu asilaire dans une perspective critique engage en effet à s’intéresser de manière plus spécifique et systématique aux dynamiques et effets propres aux assignations de genre. L’exemplarité de l’historiographie de l’hystérie comme phénomène culturel et historique y encourage (Edelman 2003), tout comme divers travaux prenant à corps l’articulation entre histoire sociale de la psychiatrie et études de genre (Fauvel 2013). L’hypothèse consiste à vérifier que ces écritures sont l’image spéculaire de divers régimes d’assignation, tant du point de vue de la production que de la réception, qu’il faut décrire et analyser. Il va sans dire que la pathologisation de l’expression ou le travail psycho-biographique mis en œuvre par les exégètes de ces artefacts relèvent de ce processus décrit ailleurs dans l’histoire de l’art (Pollock 1981 ; Foucher-Zarmanian 2015). Ainsi la production scripturaire de nombreuses femmes enfermées a-t-elle été analysée de manière quasi exclusive dans un cadre reconduisant les poncifs d’une psychiatrie paternaliste, dont certains écrivains, artistes et amateurs de tout genre se font, aujourd’hui encore, la chambre d’écho. Or prêter l’œil et l’oreille à ce qui se trame entre les lignes engage nécessairement à une position critique et soigneuse qui puisse reconnaître dans ces écrits et leur mise en forme, le signe de ces assignations, mais aussi des tactiques et des manières de faire que leurs auteures/autrices ont mises en œuvre afin de les subvertir, de les contourner ou de s’y opposer.
Baptiste Brun
Le programme
• 9h45 – Accueil au Centre Pompidou, Grand Salon du Musée, Niveau 5
• 10h – Introduction
• 10h15-11h30 – Relations entre écrits associés à l’art brut et avant-gardes
Avec Anouck Cape (docteure en littérature et psychanalyste) et Chiara Sartor, (Humboldt Universitat, Berlin).
Répondantes : Diane Toubert (archiviste, collections contemporaines, Bibliothèque Kandinsky, MNAM-CCI, Paris) et Mica Gherghescu (historienne de l'art, conservatrice et responsable du pôle recherche et programmation scientifique, Bibliothèque Kandinsky, MNAM-CCI, Centre Pompidou).
• 11h30 - 12h45 – L’écriture entre essentialisation et pratique structurante
Avec Cécile Cunin (doctorante Université Rennes 2) et Flavie Beuvin (art-thérapeute, artiste plasticienne et docteure en arts et esthétique).
Répondante : Charlotte Foucher Zarmanian, chargée de recherches au CNRS, membre du Centre de recherches sur les arts et le langage (CRAL), EHESS.
• 12h45-14h – Pause déjeuner
• 14h-15h – Pratiques contemporaines
Avec Olga Boudin,éditions Hourra, Mathilde Girard, psychanalyste autour de "La maison des maladies" d'Unica Zürn et Olivier Martin-Salvan, comédien et metteur en scène, créateur de "Jacqueline", écrits d’art brut.
• 15h-16h30 – Collections
Kilian Rauline (doctorant ENS), À propos de la collection Cérès Franco.
Déborah Couette (docteure en histoire de l’art, Fondation Jean Dubuffet), Madeleine Lommel et les femmes artistes de la collection L'Aracine
Répondant : Baptiste Brun (Université Rennes 2).
Discussions
En vignette: Unica Zürn et Gaston Ferdière lors du vernissage de l'exposition « Bellmer » à la Galerie Daniel Cordier (5 décembre 1963), photo : Anders Holmquist, Centre Pompidou/MNAM-CCI/Bibliothèque Kandinsky, FGP 300. Acquis grâce au soutien de Florence et Daniel Guerlain, 2023.
Photo : © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Bibliothèque Kandinsky/Anders Holmquist/Dist. GrandPalaisRmn
Quand
10h - 17h
Entrée sur réservation obligatoire.