[MISE EN LIGNE] L'instrument de recherche du fonds Georges Blanchon
Béatrice Sarno
Lorsque Catherine et Simon Belfort confient au Musée national d’art moderne trois plans réhaussés aux crayons de couleur de la maison de vacances familiale signée Pierre Jeanneret, ils décident de donner à la Bibliothèque Kandinsky l’ensemble des autres plans de la maison et de son mobilier. Conçue en 1948, Tan a Dour avait été réalisée sous l’œil attentif de leur beau-père Georges Blanchon, proche de l’architecte et directeur du Bureau central de construction (BCC). En même temps que les plans, entrent en 2024 dans nos collections les archives professionnelles de Georges Blanchon (1901-1987). L'instrument de recherche du fonds est désormais disponible en ligne.
Le fonds Georges Blanchon : des archives d'architecture intérieure et extérieure
Georges Blanchon assure notamment la coordination de chantiers et l’édition de mobilier. Le fonds détaille sa collaboration avec Pierre Jeanneret, Charlotte Perriand et Jean Prouvé. Depuis les projets menés pendant la seconde guerre mondiale jusqu’aux rééditions de meubles dans les années 1960, trois boîtes d’archives écrites tracent un suivi des affaires et témoignent en outre d’une amitié fidèle ; deux boîtes de photographies contiennent de nombreuses vues de meubles, quelques vues de maisons, et des aménagements intérieurs parmi lesquels les espaces de bureaux insolites où travaillaient les équipes à Grenoble et à Paris.

Vue du studio d'études comportant 3 bureaux dont 1 en mezzanine. Centre Pompidou/MNAM-CCI/Bibliothèque Kandinsky, Fonds Georges Blanchon, BLA 21.2
Photo : © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Bibliothèque Kandinsky/Fonds Georges Blanchon/Dist. GrandPalaisRmn
Georges Blanchon, insatiable polymathe
La première vie de Georges Blanchon est entièrement vouée à son amour pour la montagne. Originaire de Grenoble, il n’a pas encore 17 ans lorsque le 11 novembre 1918, au son des volées de cloches fêtant l’armistice, il fonde l’Alpes-Club, coup d’envoi d’une brillante carrière dans le domaine du tourisme en montagne. De 1925 à 1938, il tient une chronique hebdomadaire dans la presse régionale qui le propulse régulièrement à la radio. En 1927, il conçoit une société spécialisée dans l’édition et la publicité pour la promotion de la montagne et étend ses activités au domaine de l’immobilier. Il crée l’Ensf (École nationale du ski français) en 1937 et met au point une méthode d’enseignement du ski de descente. Actif également dans la vie culturelle grenobloise, il s’implique dans les ciné-clubs, au théâtre et préside dès 1937 le groupe « Les heures alpines» qu’il avait fondé en 1928. Ce survol sommaire de ses activités et engagements suffit à comprendre qu’à 36 ans, Georges Blanchon est résolument ce hardi polymathe dont il a la réputation.

© F.L.C./Adagp, Paris et © Adagp, Paris. Photo : © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Bibliothèque Kandinsky/Fonds Georges Blanchon/Dist. GrandPalaisRmn
Les constructions préfabriquées dans un contexte de guerre mondiale
En 1937, Georges Blanchon rencontre Charlotte Perriand et se passionne avec elle pour la construction de bâtiments démontables et l’édition de meubles. Avec l'entrée en guerre, s’amorce alors un tournant décisif dans sa vie professionnelle : il abandonne la plupart de ses autres postes pour se consacrer à coordonner un projet d’envergure pour le site de la Scal (Société centrale des alliages légers) à Issoire. Ce projet exploite un système de structure à portique axial mis au point par Jean Prouvé. La commande est passée à l’atelier de Le Corbusier et Pierre Jeanneret. Le rôle de Georges Blanchon consiste à ajuster les étapes de construction en orchestrant les divers fournisseurs et sous-traitants. Ses collaborateurs principaux sont Charlotte Perriand, Pierre Jeanneret et les Ateliers Jean Prouvé dont il devient agent général pour les régions Sud-est et Centre.
Fort de cette expérience, il fonde en décembre 1939 à Grenoble le Bureau central de construction (BCC), spécialisé dans les bâtiments préfabriqués et l'habitation équipée.
La Bataille de France en mai 1940 interrompt brutalement les chantiers d’Issoire. Georges Blanchon entre en résistance. Le fonds fait état de ses activités clandestines de 1940 jusqu’à la Libération. Pour autant les travaux de construction reprendront et d’autres projets de logements préfabriqués seront menés avec succès par le BCC et Jean Prouvé, notamment à Saint-Auban (1941-1942).

© Adagp, Paris. Photo : © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Bibliothèque Kandinsky/Fonds Georges Blanchon/Dist. GrandPalaisRmn
Charlotte Perriand et Georges Blanchon : une complicité à l'œuvre
Dès 1939, quand Charlotte Perriand intervient auprès des instances du génie civil ou militaire pour obtenir les autorisations de construction, les deux complices font avancer les projets avec brio. On compte entre 1939 et 1940 près de 400 lettres, avec parfois jusqu’à douze envois le même jour.
Très vite, Charlotte Perriand personnalise ses lettres professionnelles avec des expressions personnelles souvent amusantes. Quelques moments de vie privée sont évoqués. On devine entre eux une amitié profonde qu’elle exprimera pleinement dans sa longue lettre envoyée le 30 mai 1941 depuis Tokyo où elle est invitée par le gouvernement japonais.
Après son retour du Japon, la correspondance concerne surtout des éditions et rééditions de meubles. Un document daté de juillet 1946 signale la création de l’Équipement de la maison, société ayant notamment pour vocation la fabrication artisanale et sur mesure de mobilier signé Charlotte Perriand, et pour certains, cosignés Charlotte Perriand et Pierre Jeanneret. Le fonds compte à la fois des lettres, des tirages et des plans qui témoignent d’une activité soutenue.
© Adagp, Paris. Photo : © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Bibliothèque Kandinsky/Fonds Georges Blanchon/Dist. GrandPalaisRmn
Lointain Pierre Jeanneret
Pierre Jeanneret est manifestement moins bavard que Charlotte Perriand. Néanmoins sa complicité avec Georges Blanchon se manifeste dans les faits : avant son départ pour l’Inde en 1951, il lui confie ses dossiers professionnels et administratifs.
Le fonds conserve donc des archives en provenance de Pierre Jeanneret : son curriculum vitae, quelques présentations de projets, une revue de presse (que Blanchon complètera), mais aussi divers dossiers en cours, comme celui qui fait suite à sa nomination comme « architecte reconstructeur » (1945-1947).
Parmi les plus de 200 feuillets de correspondance, chaque lettre énumère le détail des affaires professionnelles et domestiques de Pierre Jeanneret lorsqu’il est à Simla (1951-1952) puis à Chandigarh (1952-1958). Ces courriers laissent un suivi précis des activités communes aux deux hommes pendant cette période.

© ADAGP, Paris. Photo : © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Bibliothèque Kandinsky/Fonds Georges Blanchon/Dist. GrandPalaisRmn
Les archives d'un homme au point de convergence entre les concepteurs, les fabricants et les diffuseurs
Le fonds Georges Blanchon enrichit la collection de la Bibliothèque Kandinsky par sa transversalité : il touche le domaine de l’architecture autant que celui du design, et à l’image du fonds Jean Prouvé, il articule la façon dont la production bascule vers le préfabriqué et l’industrialisation.
Fondateur du BCC, du BCB et de l’Équipement de la maison, Georges Blanchon est au point de convergence entre les concepteurs, les fabricants et les diffuseurs. Au-delà des amitiés tissées au gré de nouvelles pratiques professionnelles, ce fonds vient brosser en creux le portrait d’un homme engagé, intrépide, passionné par la modernité, juché sur des skis ou installé à l’un des bureaux « superposés » de ses espaces de travail modulables – un homme en mouvement constant. A l’instar de nombreux fonds de petit volume conservés à la Bibliothèque Kandinsky tels que les Fonds Louis Dalbet, Edouard Menkès, Jean-Marie Helwig, ou Charles Barberis, le fonds Georges Blanchon souligne l’importance insoupçonnée des acteurs de l’ombre.
Illustration en vignette : Maison de Lola et Jean Pluet sur l’île de Bréhat conçue par Pierre Jeanneret, vers 1949, photographie de Lola Blanchon. Centre Pompidou/MNAM-CCI/Bibliothèque Kandinsky/Fonds Georges Blanchon, BLA 33.1.© ADAGP, Paris. Photo : © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Bibliothèque Kandinsky/Fonds Georges Blanchon/Dist. GrandPalaisRmn. Lola et Jean Pluet sont les grands-parents de Catherine et Simon Belfort.
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